Pourquoi l’huile de palme est-elle si décriée ?

Publié le 26 septembre 2019 à 9:50 Aujourd'hui

Décriée par les associations environnementales, exclue des produits biologiques, l’huile de palme a mauvaise presse. Pourquoi ? Réponse Conso fait le point.

Massivement consommée par la population européenne, chinoise et indienne, l’huile de palme est partout. Peu coûteuse et moins riche en gras que les « gras trans », elle se consomme quotidiennement, à 80% dans la nourriture et à 19% dans les cosmétiques, selon un rapport de Greenpeace publié en 2017. Si on l’utilise pour ses qualités pratiques, la consommation excessive d’huile de palme est décriée par les associations de défense de l’environnement et des droits de l’homme, telles que Greenpeace, le WWF ou Amnesty International. Pourquoi vise-t-on cette huile en particulier?

L’huile de palme, qu’est-ce que c’est ?

L’huile de palme est une huile végétale de couleur rouge issue des palmiers à huile. Celle-ci est extraite des fruits orangés et jaunes, parallèlement à « l’huile de palmiste » extraite du noyau blanc du végétal. Chaque fruit regorge de 30 à 35% d’huile de palme. Les palmiers qui les produisent portent le nom scientifique de « Elaeis guineensis » et sont issus des forêts d’équateurs, d’Amérique Latine, d’Afrique de l’Ouest, mais surtout de plantations situées en Indonésie et en Malaisie. Ces palmeraies produisent 85% des stocks d’huile de palme consommée dans le monde.

Où la trouve-t-on ?

Dans le commerce, l’huile de palme est vendue sous sa forme raffinée, à savoir décolorée et désodorisée. Selon un rapport d’Amnesty International, l’huile de palme se trouve dans environ 50% des produits de consommation courante. On la retrouve à 80% dans la nourriture, comme le fameux Nutella, les soupes en sachet, les chips, les croûtons, la margarine, les biscuits, la mayonnaise, les céréales, le chocolat, mais aussi à 19% dans les produits cosmétiques comme les savons, le rouge à lèvres, les crèmes hydratantes, et à 1% dans les agrocarburants. On peut également retrouver des listes détaillées de produits contenants de l’huile de palme ici et ici.

Pourquoi la consomme-t-on autant ?

L’huile de palme est l’huile la plus consommée au monde, devant l’huile de soja. Selon les chiffres de l’European Palm Oil Alliance, la consommation mondiale d’huile de palme est passée de 14,6 millions de tonnes en 1995 à 61,1 millions de tonnes en 2015. Selon les données de l’European Palm Oil Alliance, la consommation européenne est passée de 1,9 million de tonnes sur l’année 1995 à près de 7 millions de tonnes en 2015. Un chiffre significatif. Les principaux consommateurs d’huile de palme sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie et l’Union européenne. Sur ces pays, seule l’Indonésie en produit sur son territoire. Les importations de l’Inde, de la Chine et de l’Union européenne représentaient quant à elles 47,9% des importations mondiales.

En réalité, l’huile de palme est extrêmement rentable. Un palmier à huile produit environ 40 kg d’huile par année pour trente ans de longévité. La production demande aussi moins de surface et son coût est faible comparé aux autres huiles. De ce fait, on trouve l’huile de palme partout. Elle résisterait aussi mieux aux températures élevées et à la cuisson que les autres huiles. Ce serait par ailleurs cette caractéristique qui donnerait son goût onctueux au Nutella. Finalement l’huile de palme ne contient aucun « gras trans » (un gras qui à la fois diminue le cholestérol HDL -bon gras- et augmente celui LDL -mauvais gras-) ce qui lui a valu de remplacer les graisses partiellement hydrogénées.

Une huile nocive pour la santé

Bien que l’huile de palme surpasse les graisses partiellement hydrogénées, elle pose tout de même problème. La composition exacte de 100 grammes d’huile de palme représente 885 calories, 100 grammes de lipides (dont 49,3 grammes de gras saturés), 8 µg de Vitamine K, 15,9 mg d’alpha-tocophérol, 49 mg de stérols végétaux. Ainsi, l’huile de palme contient 50% d’acides gras saturés. C’est par exemple beaucoup plus que l’huile d’olive, qui en compte seulement 14%. L’huile de palme a donc une teneur élevée en gras saturés qui favorise le taux de cholestérol LDL (« le mauvais cholestérol »). Une alimentation trop riche en acide gras conduit à des hauts risques de maladies cardiovasculaires.

Des plantations qui détruisent la biodiversité

En 2014, l’Indonésie et la Malaisie ont produit plus de 48 tonnes d’huile de palme, selon les statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. En 2015, les deux pays concentraient à eux seuls 87% de la production mondiale. Ce sont 12 millions d’hectares de terre qui sont recouvertes de plantation de palmiers à huile, soit « 1/3 du territoire de l’Allemagne », selon une étude du WWF réalisée en 2012. Les plantations de palmiers se multiplient dans ces deux pays, ce qui détruit les forêts et dès lors les habitats naturels des populations locales. Dans un reportage réalisé par le youtubeur le Grand JD, intitulé « j’ai vu le scandale de l’huile de palme », on peut constater les dégâts des plantations sur place, à l’île de Bornéo. Les populations penan qui vivent encore dans la forêt tropicale de l’île sont directement menacées par les palmeraies. Les plantations détruisent les forêts et donc leur habitat naturel. Le journaliste de la RTS Bernard Genier dénonce une accélération accrue de la déforestation depuis 17 ans, époque à laquelle il avait réalisé un reportage sur les Penan lorsque la déforestation faisait déjà rage. Il ne reste aux Penan sur Bornéo que « 5% de forêt vierge » dénonce le journaliste. Le fond du militant suisse Bruno Manser permet toutefois d’alimenter la protection des Penan. Le collectif réalise notamment des cartes des zones touchées pour pouvoir ensuite défendre la sauvegarde des habitats.

Pour installer les palmiers à huile, les multinationales détruisent au préalable les forêts tropicales. Elles utilisent encore la culture sur brûlis, une technique pourtant illégale causant des feux de forêts polluants. Ces derniers ont augmenté de 3% l’émission de gaz à effet de serre mondiale en 2015. L’année suivante, Greenpeace avait estimé que 620 000 hectares de forêt tropicale indonésienne avaient été réduits en cendre. En 2010, Greenpeace affirmait que l’Indonésie vivait l’un des plus importants rythmes de déforestation de la planète, avec la disparition de « l’équivalent d’un stade de foot toutes les 15 secondes ». Les entreprises recourent aussi à l’utilisation de pesticides qui disséminent toute vie végétale et animale. Les forêts sont pourtant essentielles pour leur capacité à recycler le dioxyde de carbone en oxygène. Elles renferment également 10 millions d’espèces de plantes différentes et ont la capacité de contrer l’érosion des sols. Selon Greenpeace, d’ici à 2022, 98% des forêts indonésiennes auront disparu. L’heure est grave.

Le défrichement des arbres tue les milieux naturels des tigres de Sumatra et des orangs-outans, espèces gravement menacée. L’Union internationale pour la conservation de la Nature (UICN) a classé les orangs-outans de Sumatra dans sa liste d’espèces avec un très haut risque d’extinction à l’état sauvage dans un futur immédiat et l’orang-outan de Bornéo catégorisé en « danger » avec un haut risque d’extinction à l’état sauvage dans un futur proche. La taille des populations a drastiquement diminué, passant de 12 770 individus en 1997 à 3 500 en 2002. Une catastrophe dénoncée par les ONG. Une vidéo réalisée par Greenpeace en 2010 dénonçait l’utilisation d’huile de palme par Nestlé avec un procédé sulfureux : dans leur vidéo, un salarié ouvre un emballage kitkat et y mange sans sourciller… le doigt d’une main d’orang-outan.

Un enjeu de contentieux international

Pour remédier à ces destructions, la France avait aussi voulu agir, mais sans succès. En juin 2015, la ministre de l’Environnement Ségolène Royale avait appelé à arrêter de manger du Nutella « parce que c’est de l’huile de palme » dans l’émission Le Petit Journal. Elle avait par la suite rétropédalé en tweetant « Mille excuses pour la polémique sur le Nutella ». L’année suivante, dans le cadre de la loi Biodiversité, les députés français voulaient instaurer la « taxe Nutella » et surtaxer l’huile de palme. Une décision qui engendra de fortes manifestations en Indonésie contre une mesure « arrogante » et qui dissuadèrent les députés d’aller plus loin.

En avril dernier, une résolution du Parlement Européen planifiait d’éliminer l’utilisation d’huiles végétales dans le biodiesel d’ici à 2020. Une mesure qui va à l’encontre des projets de la Malaisie, qui veut faire rouler ses véhicules au biocarburant. Ce dernier est composé d’un mélange de diesel et de 5% d’huile de palme. En juillet 2017, le ministre de la Transition écologique et solidaire français Nicolas Hulot a affirmé la volonté de la France à limiter l’usage de l’huile de palme dans les biocarburants. En réponse, la Malaisie et l’Indonésie ont menacé de saisir l’Organisation Mondiale du Commerce contre l’Union Européenne, décriant une mesure injuste pour leur commerce international.

Des enfants travaillent dans les plantations

Un rapport d’Amnesty International datant de 2016 dénonçait les grandes marques qui exploitent les ouvriers. L’enquête qui a interrogé 120 travailleurs issus des plantations d’Indonésie met en cause 9 multinationales dont Nestlé, Kellogg’s, Unilever et Procter & Gambler. Les plantations d’huile de palme de Wilmar (géant de l’agroalimentaire singapourien) auxquelles elles ont recourent affichent des conditions de travail déplorables. Si les ouvriers n’atteignent pas les objectifs imposés (cueillir 950 kg de fruits par jour) ou font des erreurs (ramasser les fruits tombés par terre ou cueillir des fruits pas mûrs), ils leur en coûtent une partie de leur salaire. Ils peuvent travailler jusqu’à 12h/jour sous la pluie sans tenue de protection et avec une rémunération extrêmement faible. 24 sacs de fruits ramassés, soit 3000 fruits, correspondent à un salaire de 84 116 roupies indonésiennes (6 dollars américains) par jour. Beaucoup de femmes travaillent dans les plantations avec une paye en dessous du salaire minimum, « pas plus de 2,50 dollars par jour dans certains cas extrêmes », sans retraite ni assurance maladie. Ces conditions poussent même les familles à recourir à leurs enfants (âgés de huit ans pour les plus jeunes) pour les aider à la cueillette. « Ces enfants portent de lourdes charges, car ils doivent transporter des sacs de fruits ramassés par terre et certains poussent des brouettes remplies de lourds régimes sur un terrain accidenté et des ponts étroits. Ils risquent d’être blessés ou intoxiqués en raison des gestes répétés, des lourdes charges et de l’exposition à des produits chimiques » nous apprend Amnesty. La justice indonésienne interdit pourtant aux enfants de faire un travail susceptible d’atteindre leur sécurité, leur santé et leur moralité, avant qu’ils aient atteint l’âge de 18 ans.

Contre cette réalité, les groupes comme Nestlé et Unilever assurent à leurs consommateurs utiliser de l’huile de palme certifié « durable » par le label controversé « RSPO ». Fondé en 2004 par des industriels de l’huile de palme (Wilmar, Unilever, Ferrero, Nestlé, Cérélia) mais aussi des ONG (WWF, Greenpalm), le label « Roundtable on Sustainable Palm Oil » a pour ambition de mener les entreprises à utiliser une huile de palme qui n’est pas issue de la déforestation. RSPO délivre donc un label aux industriels qui garantissent que la culture du palmier à huile ne se fait pas au détriment de la forêt primaire et des droits fondamentaux des populations locales. Pourtant, des entreprises labellisées continuent d’avoir recours à des plantations indonésiennes. Pour cela, le label est décrié par d’autres associations de défense de l’environnement, telles que Greenpeace qui a toujours refusé d’en faire partie. En effet, sur les trois niveaux de certification du label RSPO, seul le 3ème degré concerne une absence de déforestation. Le premier intitulé « identité préservée » veille seulement à l’achat d’un « certificat vert » par les entreprises et le second nommé « balance de masse » est un mélange entre l’huile de palme classique et durable. En règle générale, la certification RSPO n’admet pas l’absence de déforestation.

Les alternatives à l’huile de palme polluante

Heureusement, des alternatives à l’huile de palme se développent. Par exemple en janvier 2017, deux industriels d’Occitanie, en partenariat avec le CNRS, auraient mis au point une alternative locale à base d’huile de tournesol : « Substipalm ».

Consommer de l’huile de palme durable est également possible. Contrairement à la RSPO, le « Palm Oil Innovation Group » (POIG) est admis par les associations de défense de l’environnement, et donc plus fiable. Fondé en 2013 par Greenpeace, le WWF, Forest Peoples Programme, Rainforst Action Network, mais aussi trois groupes produisant de l’huile de palme (Golden Agri-Resources, New Britain Palm Oil et Agropalma), le groupe vise un label exclusivement « zéro déforestation », la préservation des cultures vivrières des communautés locales, le contrôle des émissions de GES et un traçage efficace de l’huile.

On peut finalement identifier les bons des mauvais élèves chez les entreprises. Dans son rapport « Moment of Truth » publié le 19 mars 2018, Greenpeace épinglait huit multinationales qui refusaient d’identifier la provenance de leur huile de palme : Ferrero, Hershey, Kellogg, Kraft Heinz, Johnson&Johnson, PepsiCo, PZ Cussons et Smucker’s. Si une entreprise refuse d’indiquer la provenance de son huile, il y a une grande chance qu’elle vienne d’une plantation qui ne respecte pas le développement durable. A contrario, Nestlé, Unilever, Colgate-Palmolive, General Mills, Mars, Mondelez, Procter&Gamble et Reckitt Benckiser ont joué le jeu. Si les 16 entreprises sont encore loin des objectifs fixés par le Consumer Good Forum (CGF) en 2010 pour une déforestation nulle via les chaînes d’approvisionnement d’ici à 2020, on identifie déjà celles qui peuvent sortir du lot.

Claire Lebrun

  1. Que d’erreurs et d’approximations dans cet article…
    Que vient faire la forêt amazonienne ici ? l’Amazonie est en Amérique du Sud.
    Les agrocarburants représentent plus d’1% des importations d’huile de palme en Europe : n’importe quelle ONG vous le dira.
    Par ailleurs, sachez que le POIG n’est pas un label et que le substitut « Subtipalm » est toujours en cours d’expérimentation en laboratoire et ne risque pas de remplacer demain l’huile de palme au vu des quantités nécessaires.
    Il y a tellement plus à dire sur la filière durable que l’huile de palme ! et qui ne peut être réduite à la seule certification RSPO ! Le vrai enjeu est de convertir l’ensemble des planteurs d’huile de palme a adopté des normes strictes visant à protéger les forêts, les espèces animales et respecter les droits des populations locales.
    C’est en demandant l’excellence à ses fournisseurs et en s’appuyant sur l’accompagnement d’ONG de terrain, que l’EUROPE a le pouvoir de transformer la filière au niveau international.

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