Perturbateurs endocriniens : un accord très controversé

Publié le 5 juillet 2017 à 12:47 Aujourd'hui | 1455 vues

La France et les autres États ont adopté la définition des perturbateurs endocriniens proposée par Bruxelles. Un accord qui soulève la colère des scientifiques et des défenseurs de l’environnement.

On y est. La France a fini par s’incliner devant l’Allemagne au dépit de l’avis des scientifiques et des associations environnementales. La Commission européenne a obtenu, mardi 4 juillet, le vote favorable des États membres sur son projet très controversé de définir les perturbateurs endocriniens. La majorité nécessaire a pu être obtenue par le retournement de veste de la France. L’Hexagone s’opposait depuis plus d’un an, aux côtés de la Suède et du Danemark, à ce texte jugé pas assez protecteur de la santé publique et de l’environnement. C’est donc Berlin qui a eu gain de cause. L’Allemagne était pour une réglementation bien moins contraignante pour l’industrie.

Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ? Quels risques engendre-t-il ?

Pour rappel, un perturbateur endocrinien (PE) est une molécule capable d’influencer l’action d’une hormone. Il perturbe le fonctionnement d’un organisme en reproduisant l’action d’une hormone grâce à une structure moléculaire semblable à une hormone naturelle. C’est le cas du bisphénol A qui comporte des propriétés œstrogéniques. Les PE bloquent l’action des hormones en saturant leurs récepteurs ou en interférant avec l’action des hormones. C’est le cas avec les agents ignifuges bromés qui perturbent le fonctionnement des hormones thyroïdiennes.

Les perturbateurs endocriniens sont soupçonnés de provoquer des atteintes au système reproducteur mâle (baisse de la qualité du sperme, malformations congénitales), au système reproducteur femelle (puberté précoce, endométriose), des anomalies du développement (prématurité, troubles du comportement, obésité, diabète de type 2) et des cancers (sein, utérus, ovaires, prostate, testicules).

On peut retrouver les perturbateurs endocriniens un peu partout au quotidien. Que ce soit dans des ustensiles de cuisine, des récipients en plastique, des tétines, des fruits et légumes (pesticides), des emballages alimentaires, dans les poussières d’aspirateur, des vêtements, des claviers d’ordinateurs ou encore dans des gélules. Les PE sont partout. En tout, ce sont environ 800 produits chimiques qui sont soupçonnés ou connus pour modifier le système hormonal humain, selon l’OMS.

Les trois critères de la Commission européenne

La Commission européenne a proposé trois critères pour définir les perturbateurs endocriniens. La substance doit avoir un effet avéré sur la santé humaine, elle doit présenter un mode d’action endocrinien et le lien entre l’effet indésirable et le mode d’action doit être connu. Les molécules qui sont seulement suspectées d’appartenir aux perturbateurs endocriniens ne pourront plus être commercialisées. La France a réussi à obtenir gain de cause sur ce point. « Il s’agit d’une avancée importante pour la santé et l’environnement », indiquent les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Santé, rejoints par les ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation.

La Commission européenne se félicite, les autres tirent la sonnette d’alarme

« Après des mois de discussions, nous avançons vers le premier système réglementaire au monde pourvu de critères légalement contraignant définissant ce qu’est un perturbateur endocrinien. Une fois appliqué, le texte assurera que toute substance active utilisée dans les pesticides identifiés comme perturbateur endocrinien pour les personnes ou les animaux pourra être évaluée et retirée du marché », s’est félicité Vytenis Andriukaitis, commissaire européen à la santé et la sécurité. Un avis bien loin d’être partagé par l’ensemble de la communauté européenne.

« Nous regrettons que la Commission n’ait pas écouté la grande inquiétude du Danemark, de la Suède et d’autres, soulignant les critères proposés exigent, pouvoir identifier un perturbateur endocrinien, un niveau de preuve jamais exigé jusqu’à présent pour d’autres substances problématiques comme les cancérogènes, les mutagènes et les reprotoxiques. Cela ne reflète pas l’état actuel du savoir scientifique. Au total, ces critères ne remplissent pas le niveau de protection attendu par les colégislateurs », explique Karolina Skog, ministre suédoise de l’environnement, au Monde.

Quant à l’ONG Générations Futures, celle-ci se dit déçue. « Nous sommes déçus que la France n’ait pas souhaité poursuivre son bras de fer avec la Commission européenne sur ce sujet pour améliorer la proposition alors que le Président Macron avait affiché une volonté de lutter contre les perturbateurs endocriniens durant sa campagne et que la Suède et le Danemark ainsi que la République Tchèque ont voté, elles, contre la proposition. Néanmoins la pression de Générations Futures et des autres ONG impliquées a clairement obligé le nouveau gouvernement à se saisir du sujet des perturbateurs endocriniens et à faire des propositions au niveau européen et national en la matière que nous allons analyser en détail. Générations Futures reste totalement mobilisé pour faire avancer ce dossier à ces deux niveaux ! », a déclaré François Veillerette, porte-parole de Générations futures.

L’inquiétude des ONG et des scientifiques

Une disposition inscrite dans le projet pose problème à de nombreux professionnels. Il s’agit du principe d’exemption pour les pesticides agissant sur les arthropodes (insectes, crustacés, arachnides, etc.). « Les scientifiques spécialistes des perturbateurs endocriniens ont rappelé régulièrement que cette exemption ne repose sur aucun fondement scientifique sérieux car la proximité est grande entre les systèmes endocriniens de l’ensemble des espèces », indique l’association Réseau environnement santé (RES). L’association aurait aimé que la France reste alliée au Danemark et à la Suède.

La Commission avait rendu publique la première version du texte en juin 2016, ce qui lui avait déjà valu de nombreuses critiques de la part de scientifiques. Les critères adoptés mardi sont toujours les mêmes, ce qui entraîne une grande inquiétude. Le 15 juin dernier, l’Endocrine Society, la Société européenne d’endocrinologie et la Société européenne d’endocrinologie pédiatrique avait adressé une lettre aux vingt-huit ministres de l’Union. Elles demandaient de rejeter la proposition de Bruxelles car celle-ci ne permettait pas d’assurer « le haut niveau de protection de la santé et de l’environnement requis » par les traités européens et qu’elle « échouerait probablement à identifier les PE qui causent des dommages chez l’homme aujourd’hui ».

À savoir que Berlin se place en totale contradiction avec les objectifs du texte. L’Allemagne avait demandé il y a quelques mois une clause permettant d’empêcher le retrait des pesticides « conçus spécifiquement pour perturber les systèmes endocriniens des insectes ciblés ». Cette demande avait notamment été formulée par les fabricants de pesticides les plus menacés par une réglementation drastique, dont les géants allemands du secteur : BASF et Bayer. « Dans ces négociations, les États donnent la priorité aux intérêts de leurs industries nationales plutôt qu’à la santé de leurs citoyens », s’est indigné Michèle Rivasi, eurodéputé Europe Écologie, à l’AFP.

Des interdictions à l’échelle nationale

Il faut croire que le gouvernement français ne semble pas si à l’aise avec ces nouvelles mesures. Il a annoncé une série de mesures pour éliminer ces substances à l’échelle nationale. « S’agissant des substances concernées par l’exemption prévue, dès lors que des préoccupations s’expriment, le gouvernement s’engage à utiliser la procédure prévue par le droit européen, permettant d’interdire la mise sur le marché français de produits contenant ces substances », indiquent les ministères concernés.

Des mesures visant à renforcer la transparence sur les produits contenant ces molécules seront mises en place prochainement. En attendant un site Internet sera lancé à la mi-juillet. Celui-ci listera tous les produits phytosanitaires qui comportent au moins un perturbateur endocrinien. Les agences sanitaires seront également amenées à évaluer la possibilité de mettre en place un étiquetage indiquant la présence de perturbateurs endocriniens dans les cosmétiques, les jouets et les emballages alimentaires. Le gouvernement souhaite aussi interdire le bisphénol S, substitut du bisphénol A, suspecté d’avoir des effets tératogènes aussi mauvais que ceux produits par le bisphénol A.

« Nous n’avons pas gagné la guerre », a reconnu Nicolas Hulot, à France Info. Mais le ministre met néanmoins en avant quelques avancées comme l’application rapide des critères, l’engagement européen à élaborer une stratégie plus globale incluant les autres domaines de la chimie ainsi que le budget européen de 50 millions d’euros qui sera débloqué d’ici l’année prochaine afin de financer la recherches « indépendante » sur les dangers des perturbateurs endocriniens. Il reste encore beaucoup de progrès à faire pour nous protéger des perturbateurs endocriniens. La Commission européenne est encore bien trop laxiste et pas assez protectionniste vis-à-vis des populations qui y sont confrontées en permanence.

 

Alice Glaz

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