Patricia Lavocat, fondatrice de Rue Rangoli

Rue Rangoli : recycler en faisant des objets design avec des entreprises sociales

Publié le 13 juillet 2020 à 15:49 Ma vie zéro déchet

Allier une démarche durable en soutenant des filières engagées et solidaires, tout en proposant un design recherché pour des produits qu’on a vraiment envie d’avoir chez soi au-delà du geste écologique : c’est la proposition de Patricia Lavocat, fondatrice de Rue Rangoli, une boutique et un site internet « d’up-cycling design ». Nous sommes allés à sa rencontre rue du Cherche Midi à Paris.

Ocean Sole crée des objets déco à base de tongsPatricia Lavocat est une femme passionnée, on le devine dès les premières minutes à la façon dont elle nous parle de tous ces artisans qui vendent leurs produits dans sa boutique du 6è arrondissement à Paris. « Là vous voyez cette console, elle est faite par notre partenaire Initiatives Solidaires qui offre aux personnes dans une situation d’exclusion une opportunité d’emploi dans les métiers de menuisier, ébénistes ou encore la métallerie ou la ferronnerie. La planche du haut vient des marches d’un lycée qui date de l’époque de Jules Ferry ! Et le reste, de matériaux de chantiers ». « Ces sculptures d’animaux ici sont imaginées par Ocean Sole, une entreprise sociale qui nettoie chaque année les plages kenyanes de quelques 400 000 tongs qui s’y échouent. Leur talent pour en faire des objets déco est incroyable ! »

Notre visite explore pas à pas chaque coin de la boutique car chaque produit – des pièces uniques – a une histoire à raconter. Ce sont des hommes et des femmes, d’abord, qui ont permis qu’il soit façonné et qui partagent tous la même ambition : utiliser l’existant pour créer autre chose d’utile et beau, tout en aidant ce faisant des hommes à sortir de la précarité et l’extrême pauvreté, dans le respect de la nature. Ce sont des matières premières improbables ensuite, que Patricia met en valeur avec des étiquettes énigmatiques : « Je suis bouse », « Je suis cassette vidéo », « Je suis pneu », « Je suis tong », « Je suis plastique »… Aller dans la boutique de Patricia, c’est voyager et essayer d’imaginer ce qu’était cette chaise, cette lampe, ce carnet, ce sac avant sa deuxième vie.

Une démarche « Zéro déchet, zéro chômage »

Carnets fabriqués à base de bouse d'éléphants100 % des matériaux utilisés dans tout ce que proposent ces nombreux artisans du monde sont recyclés ou naturels. Pour s’assurer ensuite d’une démarche durable et responsable totalement cohérente, Patricia sélectionne ses partenaires, au-delà de leur talent, pour leurs valeurs humaines et sociales. Elle les connait tous personnellement : son ancien passé dans la coopération internationale a été riche en rencontres inspirantes.

Handicapés au Vietnam, réfugiés en Italie, jeunes en situation précaire au Maroc et en France, femmes seules aux Philippines… Ces organisations trouvent du travail à une population fortement défavorisée. Elles assurent souvent des formations et permettent par la même de transmettre un savoir-faire ancestral, qui avait parfois presque disparu dans certaines régions du monde avec l’arrivée du plastique.

Plus de 40 filières sur trois continents accompagnées par Rue Rangoli

Lampe en chutes de bois dechantierEn les accompagnant et leur permettant une diffusion plus large en France, Rue Rangoli participe à faire prospérer 40 filières présentes en Asie, en Afrique et en Europe. « La recherche de la créativité est importante pour moi, raconte Patricia Lavocat. J’utilise le design pour créer de l’emploi. » Son réseau de partenaires est constitué d’artisans indépendants, de plus grosses entreprises sociales, mais aussi des fondations ou des associations.

Les chiffres sont parlants : aujourd’hui son réseau a permis de sortir des familles entières de la précarité et certaines organisations font même travailler jusqu’à 100 personnes en Europe, en Asie et en Afrique.

Côté impact environnemental citons ces quelques chiffres : 350 bouteilles de soda recyclés par jour en Afrique du Sud, 15 tonnes de plastiques en Italie, 164000 kg de bouses d’éléphants en Inde, 25000 journaux, 10 000 posters de cinéma transformés, 25 tonnes de pneus recyclés en Inde, …

Pour une écologie positive

Bracelet fait en fils de téléphone« Je n’aime pas l’écologie contrainte, celle qui culpabilise les gens pour leurs achats ou leurs déplacements, poursuit la jeune entrepreneuse. Je pense qu’on peut inventer une écologie positive, mesurée, basée sur une économie solidaire où l’up-cycling – c’est-à-dire le fait de recycler et transformer – occupe une grande place ».

Et à ceux qui lui reprochent de ne pas suivre la tendance Made in France, Patricia soupire : mieux vaut bien connaître les circuits courts de fabrication, en optimisant le transport ensuite pour faire venir les produits manufacturés de l’autre bout du monde et limiter l’empreinte carbone globale, que de succomber au Made In France à tout prix.

En effet, il faut savoir qu’il suffit d’une seule étape dans la fabrication d’un bien manufacturé en France pour être estampillé Made In France. Ainsi, si certains produits sont réellement façonnés de manière responsable sur notre territoire, d’autres peuvent parfois nécessiter des kilomètres absurdes en allers et retours dans le monde, pour acheminer la matière première ou réaliser certaines étapes de fabrication par exemple. Si bien que certains articles que l’on pense 100 % locaux ont en réalité une empreinte carbone hallucinante. Dur en tant que consommateur responsable de s’y retrouver dans tout ça !

La pandémie de Covid : véritable coup dur pour toute la chaine

Patricia a ouvert sa boutique il y a deux ans, juste avant la crise des gilets jaunes. Mais c’est véritablement la pandémie actuelle qui met en péril la survie des artisans à l’étranger, comme l’équilibre de sa boutique – car Patricia applique des marges très faibles pour redonner davantage de revenus aux artisans qu’elle soutient et permettre à plus de personnes de s’offrir une de ces pièces uniques.

Comme nous l’avions vu avec le président de l’ONG Max Haavelar qui défend le commerce équitable, il faut penser que dans les pays défavorisés, la crise actuelle du Covid risque de jeter dans une situation de très grande pauvreté des millions de personnes. Si en Occident le sujet est de s’acheter ou non un nouvel objet de déco qui peut être une sculpture à base de tongs, à l’autre bout de la chaine, que la sculpture ne soit plus achetée risque tout simplement de priver de nourriture une famille entière. C’est en étant tous solidaires et responsables dans nos achats que le monde dans son ensemble ira mieux.

Pour en savoir plus :
Rue Rangoli : 74 rue du Cherche Midi 75006 Paris
https://rue-rangoli.com : le site marchand. Vous y trouverez aussi des informations sur les partenaires.

Stéphanie Perez

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